De prime abord, cela pourrait paraître suspicieux. Le concept d'économie circulaire n’est pas nouveau, mais les applications ne sont pas légion. Le modèle dominant, référence historique mondiale en terme d’écologie industrielle systématiquement invoquée, demeure l’écoparc de Kalundborg créé en 1961. Là, depuis plusieurs décennies, une raffinerie, une centrale électrique, une biotech, une usine de production de gypse, une usine de traitement des sols et la Ville elle-même s'échangent des utilités et valorisent de nombreux flux en les réutilisant.
L'eau servant au refroidissement de la raffinerie est acheminée à la centrale électrique pour produire de l'électricité et de la vapeur qui alimente la biotech et les habitants de la municipalité. Par ailleurs, les rejets de gaz de la raffinerie servent à traiter du sulfure, activité qui fournit trois co-produits dont le gypse, lequel évite à l’usine de traitement des sols d'avoir à s'approvisionner en Espagne, à 2 500 km de son usine.
En 2009, la symbiose industrio-environnementale avait permis de réduire de 20 000 t/an la consommation de pétrole, soit 380 t/an de dioxyde de soufre épargné, et 25 % la consommation en eau. Pour 75 M$ d’investissements, les revenus annuels étaient évalués à 15 M$, par l’économie de ressources et la vente de déchets.
Depuis, des « Kalundborg » ont un peu essaimé dans le monde (Écosite en Suisse ; National industrial symbiosis programme au Royaume-Uni ; Burnside Industrial Park au Canada ; Industrial ecosystem development project aux États-Unis, Bourse des résidus industriels au Québec, etc).
Les entreprises pionnières de l’écologie industrielle
Quelles sont les clefs des entreprises ayant adopté avec succès le modèle circulaire ? Les retours d’expérience de ces pionnières ont constitué la base d’une étude menée par l’Institut de l’économie circulaire (sur la base de 27 entretiens réalisés entre 2013 et 2014).
Les motivations sont relativement consensuelles : réaction ou anticipation d’une problématique d’approvisionnement (notamment pour les entreprises du BTP : Lafarge Ciment a initié dès les années 70 sa politique de substitution des combustibles fossiles par des végétaux ou issues de déchets ; Eurovia a développé le recyclage des bétons et des couches de chaussées pour répondre notamment à la complexification de l’accès à de nouvelles sources de granulats naturels en raison des difficultés d’ouvrir de nouvelles carrières).
La règlementation environnementale a, elle, stimulé de nombreuses initiatives d’éco-conception chez les fabricants d’emballages, de matériels électriques ou électroniques.
Le coût des déchets a entraîné d’autres sur la voie de la valorisation de flux de matières triés, moins onéreuse, voire source de revenus (McDonald’s développe depuis 2004 une filière biodiesel à partir d’huiles de fritures usagées).
Si le passage à un modèle circulaire se fait sans encombre dans certaines grandes entreprises, de nombreuses PME craignent que le changement de business model entraîne des réductions des marges. Mais l’écologie industrielle nécessite bien d’autres mutations.
Les enjeux sont identifiés
Les freins demeurent pluriels (d'ordre technique, réglementaire, économique, foncier ...), à commencer par le déficit d’expertise (concevoir en vue de permettre le recyclage, capacité à réduire l’utilisation de matériaux et/ou à les rendre réutilisables, etc.). Mais les obstacles sont aussi économiques : investissements conséquents en R&D, coût du recyclage de certaines matières premières (le PET, l'acier ou le papier, considérés comme des réussites en matière de recyclage, perdent jusqu'à 75 % de leur valeur dès leur première utilisation) ; biomatériaux insuffisamment compétitifs ; rentabilité incertaine des investissements ; faiblesse de la demande de la part des consommateurs ; taille réduite de certains marchés, etc.
Cadre réglementaire rigide
Aussi, les démarches d’économie circulaire cumulent une multitude de contraintes administratives (réglementations, installations classées IPCE, statut et transport des déchets...) et le manque de continuité politique conférerait aux projets une temporalité incertaine.
L’écologie circulaire n’est pas non plus aidée, ni par une fiscalité incitative, ni par la commande publique (incluant encore trop rarement des critères de développement soutenable ou de circularité dans ses appels d’offres), ni par les aberrations écologiques tenaces (obsolescence programmée, néanmoins punie comme une tromperie par la récente Loi de transition énergétique).
Le déchet, 6 % de l'excédent brut d'exploitation d'une entreprise
« Le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas », vantent les promoteurs de l'économie circulaire. Or, la notion de déchet continue de primer sur son pendant ressource. Il soutient pourtant toute la promesse de l'économie circulaire. Fondée sur le principe que les déchets des uns peuvent devenir la matière première des autres, elle génère en cascade une réduction de la consommation des ressources naturelles, de l’énergie et donc des pollutions, et ce, au niveau de l'extraction (moins de matériaux extraits grâce à la réutilisation et au recyclage), du process (utilisation d'énergies de substitution), du transport (fonctionnement en boucles locales) et enfin du réemploi.
En France, moins de 30 % des ordures ménagères collectées atteignent une installation de recyclage ou de compostage en France. Selon l’Ademe, le coût de gestion des déchets d’une entreprise représente en moyenne 0,5 % de son chiffre d’affaires et environ 6 % de son excédent brut d’exploitation (somme des factures d’élimination et des charges de collecte et de tri internes).
Les taux de taxation des déchets mis en décharge « sont trop faibles pour réellement avoir un effet incitatif sur les acteurs économiques, en les poussant à développer le recyclage », soutient l’IEC. Le coût de la mise en décharge s’élève en moyenne à 80 €/t en France pour le double en Suède, compare l’Institut.
Et si un modèle circulaire était appliqué à l’économie ?
Selon fondation Ellen MacArthur :
D’après la Commission européenne :
Selon l’IEP, l'économie circulaire, telle que définie par l'Ademe*, représenterait quelque 600 000 emplois en France et une réduction substantielle de notre consommation en ressources naturelles permettrait d'en créer entre 200 000 et 400 000 supplémentaires. * Les 7 piliers de l'économie circulaire : approvisionnement durable, écoconception, écologie industrielle et territoriale, économie de fonctionnalité, consommation responsable, allongement de la durée de vie des produits, recyclage et valorisation des déchets. |